J’ai horreur de
parler, car parler, pour moi, ce n’est pas simplement d’utiliser la langue
comme un organe quelconque du corps. Parler, c’est plutôt une prise de parole,
une affirmation de son existence à travers laquelle quelqu’un ouvre la porte de
chez lui et crie : Eh oh, je suis là. Bien sûr, la plupart de nous ne
crient pas de telle manière dans l’ordre de la conversation quotidienne, et pourtant,
dès qu’on « prend la parole », cette parole appartient déjà à quelqu’un
d’autre. On lui l’arrache, sans ou avec son accord, comme ôter la veste à
velours du comédien pour jouer à notre tour son rôle. Un petit jeu bien gênant,
car on laisserait son interlocuteur-partenaire effrayeusement nu sur la scène.
La voix est l’expression de notre âme, un certain illustre a dit ça et la parole
une sorte de manifestation qui donne la visibilité, voire la matérialité à
notre esprit.
J’ai horreur de
parler, car cela me donne une telle visibilité que parfois je ne souhaite pas
avoir. Un masque trop lourd qu’on est obligé d’entretenir jour après jour. Trop
de poudre fait du plâtre. Insoutenable.
J’ai horreur de
parler, aussi parce que je fais toujours de plus en plus d’effort pour moduler mon
discours. Les petites belles phrases, bien formulées, avec beaucoup de silence
car la tentation d’écouter l’autrui est encore trop forte. Mais les petites
belles phrases restent les petites belles phrases, et le silence dénonce pourtant,
discrètement ou non, leur caractère théâtral. De ce côté, elles s’approchent
donc des mensonges, les trompe-l’œil vides de sens. Par déduction, moi aussi,
je suis un corps vide de sens.
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